Mis à jour le 24 janvier 2017
« Paix économique », pleine conscience : une autre vision de l’entreprise
Dominique Steiler, Grenoble École de Management (GEM)
Parler de paix n’est pas toujours facile. Parler de paix économique demande encore plus d’engagement, tant le monde des affaires s’est construit sur un idéal qui résiste à l’idée d’une économie pacifiée. Pacifiée ne veut pas dire inconsciente des difficultés, mais qui les affronte avec ouverture et discernement afin d’en en faire une porte d’entrée vers le débat et la création de solutions adaptées.
La paix économique, plus qu’un concept, est un contrepoint à la notion de guerre économique. Elle représente un mot d’ordre, une forme d’indignation dont l’objet serait de mettre en mouvement les énergies citoyennes vers le bien commun.
Un contrepoint à la vision guerrière
La guerre offre toujours au militaire l’horizon d’une paix possible qui rend son engagement compatible avec l’espoir d’un temps meilleur et l’envie de contribuer au bien commun. La guerre économique ne crée pas cette perspective. Elle n’offre aucun avenir et n’a pour horizon qu’elle-même, justifiant ainsi un état de violence institutionnel permanent. Cette guerre attise son propre feu par les menaces et les peurs qu’elle engendre – perte d’emploi, délocalisation, chômage…
Enracinée dans la vision présocratique de Polemos, incarnation divine de la guerre, elle pose comme naturelles et légitimes, les conditions d’un conflit nécessaire et père de toute chose. Elle ne laisse alors qu’une seule orientation possible, celle de se comporter comme une société de mercenaires qui proposent leurs services au plus offrant, ne voyant dans les crises que de plus grands bénéfices.
L’intention première de la paix économique serait donc d’inventer un horizon qui redonne du sens et qui, par le partage et la mise au service, réintroduit de l’émerveillement et de la beauté dans la vie quotidienne. Si la guerre réelle laisse entrevoir un espoir, celui d’un temps de paix à venir, la paix économique propose d’ouvrir une espérance, une orientation de l’être qui ne promet rien, mais qui incline davantage à y contribuer.
Une approche managériale plutôt qu’économique
Par la paix économique, nous ne parlons pas à proprement dit d’économie. Nous évoquons plutôt un pendant à la notion de guerre économique qui relève plus du management que de l’économie. Nous tentons ainsi de voir en quoi les acteurs de l’économie peuvent devenir des vecteurs de paix pour contribuer à la paix sociale et au mieux vivre ensemble en rendant les entreprises performantes et durables.
L’épanouissement social et humain est autant le cœur que la finalité de toutes les activités sociales, politiques et économiques. Les énergies nécessaires à l’activité humaine en constante évolution, parfois opposées les unes aux autres, peuvent conduire autant à des merveilles qu’à des situations blessantes ou dangereuses. Il est du devoir collectif d’y remédier et de trouver des axes de rééquilibration afin que cesse la violence et que reprenne place l’épanouissement. Pour notre part, c’est dans l’espace économique que nous avons décidé de nous impliquer.
Si les êtres humains se sont un jour rassemblés pour mettre en commun leur force de travail, c’était avant tout pour tendre vers un mieux vivre ensemble et leur permettre de prendre soin les uns des autres y compris dans un environnement de tension ou de compétition. Nous croyons que l’entreprise et les organisations d’aujourd’hui conservent ce but : contribuer par l’économie à renforcer le tissu social de manière durable, pacifique et respectueuse des femmes, des hommes et de l’environnement. Dans notre vision, les richesses créées ne sont pas une fin en soi. Elles participent aux moyens qui permettront d’atteindre ce but au profit de la société d’aujourd’hui et de demain.
Deux voies vers la paix économique
Nous ne sommes qu’au début de la construction de l’idée de paix économique. Donner une définition à cette étape n’est donc pas simple. Voici pourtant deux voies pour appréhender la démarche.
« La paix économique serait une orientation pour laquelle une entreprise, un manager, un collaborateur, en préservant les grandes valeurs humaines, créent de la richesse au profit du bien commun et de l’épanouissement de l’ensemble des parties prenantes, dont ils font partie, dans le cadre plus vaste de leur responsabilité sociale et humaine. »
Cette approche positive nous convient bien. Elle contient cependant le défaut de prêter immédiatement le flanc à la critique, tant chaque mot utilisé peut être interprété de plusieurs manières. Il est aussi possible de présenter la paix économique, non pas négativement, mais « par la négative », à la manière apophatique, pour éviter que l’idée que l’on s’en fait ne soit immédiatement mise en cause dans son inadéquation à délimiter un système complexe, encore loin d’avoir été suffisamment étudié. Elle ressemblerait alors à ceci :
« La paix économique est une orientation pour laquelle une entreprise crée de la valeur sans détruire ses concurrents, manipuler ses clients, exploiter ses fournisseurs, exercer une quelconque violence vis-à-vis de ses collaborateurs et ignorer ses responsabilités sociétales, autrement dit, sans nuire à ses parties prenantes. »
Ainsi, elle se présente en trois étapes :
La paix comme intention représente le premier pas. La plupart des entreprises ont défini les valeurs clés sur lesquelles elles voulaient se positionner. Malheureusement, elles ont du mal à les mettre en action ce qui provoque souvent leur perte. Ces valeurs ont pourtant rôle de boussole, de cap à tenir. Très fragiles et évanescentes, elles sont néanmoins fondamentales pour ne pas perdre sa route et risquer de se retrouver dans une posture où nos valeurs ne semblent vraies qu’en dehors du travail.
La paix comme chemin se caractérise par les nouvelles voies que créent les acteurs pour réinventer des modalités de fonctionnement qui permettent de maintenir le cap des valeurs choisies. Il est possible ainsi de décider de l’autonomie des collaborateurs ou du soutien apporté à ses fournisseurs. Il ne s’agit pas ici d’une vision purement stratégique pour un retour sur investissement, mais de la conviction que de l’épanouissement conjoint des parties prenantes naîtra un réseau plus résilient et une performance partagée.
La paix comme fondation est un changement de paradigme. Il ne s’agit plus de voir la paix comme un état lointain, qui contient ontologiquement les racines de son propre échec, mais comme le simple engagement personnel et journalier de clarifier ses intentions puis de pacifier son corps, ses émotions, ses pensées avant d’entreprendre une nouvelle action, décision ou relation. Par ce comportement est donnée plus de chance à la paix d’exister non comme une récompense attendue, mais comme une composante possible de la vie. C’est ici qu’interviennent la pleine conscience et sa capacité à mettre chacun en pleine responsabilité face aux situations vécues.
Dominique Steiler, Titualire de la chaire Mindfulness, Bien-être au travail et paix économique, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.