Mis à jour le 7 juin 2021
Y a-t-il quelqu’un à l’intérieur ? À propos de la conscience et de ses troubles
Imaginez que vous venez tout juste de vous réveiller d’un sommeil profond et sans rêve. D’abord, plein de confusion, vous prenez subitement conscience de votre environnement, de votre corps, de votre réalité. À ce stade, nous disons que vous êtes conscient. Pourtant, même si elle est familière et intime pour chacun de nous, la conscience reste un des phénomènes les plus troublants de la science.
Comment l’activité électrique et chimique de votre cerveau engendre-t-elle vos expériences subjectives, la rougeur du rouge, le goût du chocolat ou la douleur dans votre dos ?
Jusqu’à présent, la science n’a pas expliqué de façon convaincante comment les qualités subjectives (qualia) sont produites par le cerveau.
Au lieu de s’attaquer directement à ce ‘‘problème fondamental’’ de la conscience, les neurosciences se sont attachées à identifier les corrélats neuronaux de la conscience (CNC). Ce sont les éléments neuronaux associés à l’expérience consciente.
Corrélats neuronaux de la conscience
L’activité du cerveau oscille comme des vagues. Ces oscillations peuvent se mesurer grâce à des techniques de neuro-imagerie. Comme l’électroencéphalogramme (EEG) – des électrodes collées sur le cuir chevelu enregistrent les charges électriques produites par l’activité des cellules du cerveau –, ou comme la magnéto-encéphalographie (MEG) – une technique qui dresse la carte de l’activité cérébrale en enregistrant les champs magnétiques des courants électriques –, ou encore comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) – qui mesure l’activité du cerveau en détectant les changements associés au flux sanguin. Tout cela selon des échelles de temps allant des millisecondes aux secondes.
Les toutes premières études ayant mesuré l’activité électrique du cerveau à l’aide d’électrodes pendant le sommeil et l’état de veille avaient montré que les fluctuations pendant l’état de veille conscient étaient courtes et rapides (oscillations alpha entre 8 et 12 Hz) comparées aux grandes et lentes oscillations delta (entre 0,25 et 4 Hz) produites pendant le sommeil profond, quand les personnes ne sont plus conscientes.
Mais le changement de ces oscillations (des alpha rapides aux delta lentes) ne reflète peut-être pas l’image complète de ce qui se produit dans votre cerveau quand vous perdez ou regagnez l’état conscient.
Les études IRMf pendant le repos éveillé ont montré que les fluctuations à basse fréquence (< 0,1 Hz) entre des zones distantes dans le cerveau sont en réalité synchronisées et constituent des modèles de corrélation particuliers à travers le cerveau. La forme de ces modèles de corrélation se transforme quand nous perdons conscience.
Imaginez chacun de ces modèles comme une construction en cours, constituant dans le cerveau des modèles d’activité changeants, de la même façon que les notes de musique composent une mélodie. Par analogie avec un ensemble en train de s’édifier, la dynamique cérébrale consciente est constituée d’un répertoire de modèles corrélatifs, plus riche et plus flexible que ce qui se passe dans le cerveau pendant le sommeil naturel ou sous anesthésie.
Étudier la dynamique cérébrale pendant la perte et le recouvrement de la conscience à travers ces modèles corrélatifs peut nous permettre une meilleure compréhension des corrélations neuronales et nous faire découvrir une sorte de signature de la conscience. Mais pourquoi donc avons-nous besoin de cette ‘‘signature’’ ?
Les troubles de la conscience
En plus de la curiosité spontanée qui pousse à appréhender les mécanismes internes du cerveau, il y a un besoin clinique urgent de comprendre et de diagnostiquer de façon précise les troubles de la conscience.
Après plusieurs semaines de coma – un état dans lequel les patients sont inconscients et incapables de se réveiller à l’aide de stimuli –, la plupart d’entre eux meurent ou basculent dans ce qu’on appelle un état végétatif. Là, n’offrant aucun signe de comportements et n’ouvrant même pas les yeux, ils sont considérés comme inconscients. Mais des découvertes récentes prouvent que quelques-uns de ces patients diagnostiqués auparavant comme inconscients car plongés dans un état végétatif, présentent en réalité un minimum de conscience.
Cela signifie qu’ils montrent des comportements discernables, non réductibles à des réflexes : par exemple, une fixation visuelle prolongée ou bien une réponse à des injonctions verbales, alors même qu’ils sont toujours incapables de communiquer.
Certaines méthodes courantes de diagnostic, fondées sur l’observation du comportement du patient, ont conduit à 41 % de faux diagnostics. De tels diagnostics erronés peuvent entraîner la souffrance du sujet, créer des dilemmes éthiques et légaux, voire pouvant mettre fin à la vie d’une personne consciente.
Une étude de 2006 a clairement démontré un cas de diagnostic erroné. Les auteurs ont monitoré, avec la technique IRMf, l’activité cérébrale d’une jeune femme de vingt-trois ans en état végétatif. Ils lui ont demandé de s’imaginer en train de jouer au tennis et de marcher dans les pièces de sa maison. Ils ont découvert chez elle les mêmes modèles cérébraux que ceux d’adultes en bonne santé s’imaginant jouer au tennis ou parcourant les pièces de leur maison.
Même si cette étude a été pionnière dans l’utilisation de l’imagerie fonctionnelle pour diagnostiquer les troubles de la conscience, elle présente une limitation majeure : elle requiert la participation (mentale) active du patient et sa réponse à une injonction du type : « Imaginez-vous jouant au tennis. »
L’absence de réponse du patient, cependant, ne veut pas dire qu’il est inconscient. Il peut, tout simplement, ne pas arriver à accomplir cette tâche tout en étant conscient.
Absence de preuve
Une méthode alternative de diagnostic consiste à envoyer des pulsations électromagnétiques à travers le cuir chevelu pendant qu’un EEG évalue la complexité de la réponse cérébrale. En état d’éveil, ces pulsations provoquent des modifications cérébrales plus complexes et plus longues que pendant la perte de conscience due au sommeil, à l’anesthésie ou au coma.
Même si cette méthode n’exige pas la participation active du patient, elle nécessite l’installation d’une stimulation magnétique transcrânienne (TMS) pas toujours disponible, avec en plus un dispositif compatible d’EEG.
L’étude des changements de l’activité cérébrale en état de repos reste donc importante pour rechercher la signature de la conscience sans avoir à demander aux patients d’accomplir des tâches (comme s’imaginer jouer au tennis), ou sans avoir à stimuler le cerveau à l’aide de pulsations externes (comme l’utilisation d’une TMS).
Ces expérimentations constituent une avancée majeure dans la science de la conscience et fournissent un important outil de diagnostic. Mais nous devons nous souvenir que l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence.
Selen Atasoy, Postdoctoral Research Fellow, UNSW
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.